Ma journée de confiné

Je me lève alors que la lune a foutu le camp et que le soleil sourit pâlement.

Je descends prudemment l’escalier avec mes charentaises de confiné qui n’ont jamais autant baillé, mais pour les remplacer faudra patienter !

J’allume la radio quand un jingle coronavirus me vrille les tympans pour me rappeler qu’il faut que je me lave les mains avant de m’attabler devant un royal petit-déjeuner.

Café bien serré avec un sucre (je surveille de près ma glycémie de sédentaire confiné), trois tranches de pain décongelées (on a fait le plein chez Christophe pour 15 jours) tartinées de quelques noisettes de beurre « doux », (à cause d’une pénurie au rayon produits crémiers je redécouvre avec horreur que le lait de vache ne donne pas naturellement du beurre salé), un yaourt Bio avec une cuillère à café de confiture à la fraise de Plougastel et une banane à la pelure tigrée de fin de Drive.

Comme bien des matins depuis l’entrée clandestine de ce foutu virus, les infos médico-scientifico-politico-socio-psycho-agricolo… et les sondages à foison me mettent le doute plus qu’ils ne m’éclairent. Un vrai marasme ambiant face à un « invisible sournois » qui frappe rudement et étrangle les cocoricos dans l’œuf, s’il en est encore qui subsistent. Au retour de mon trek en Sultanat d’Oman j’avais décidé de me laisser pousser le bouc et la moustache, mais il paraît qu’il peut s’accrocher à tout poil ambiant, alors je rase de près mon minois de sexagénaire, mais sauvegarde quand même mon toupet sur un crâne suffisamment dégarni.

Je remplis sagement mon attestation en cochant la case « Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes » après avoir enfilé mes croquenots de rando et mon K-way (ça m’évite de perdre une minute trente sur le temps réglementaire) et compas à l’échelle je marche d’un bon pied sur les chemins encore humides de rosée et les routes bitumées désertées, sans dépasser d’un cil le kilomètre autorisé.

Une douche au retour et après c’est selon l’humeur : bricolage (pas trop, car une blessure est vite arrivée et les urgences…), cours de breton (aïe, c’est toujours aussi dur à imprimer, j’ai le disque dur qui bute sur certains mots). Je vais me remettre à l’anglais (il m’en reste quelques traces, je crois). Je traque les mauvaises herbes (mais après un mois de confinement, il n’en reste guère et avec ma femme on se bat pour arracher la rebelle qui pointe son vert), la tonte de pelouse se fait rare, ghast ! il pleut plus chez nous…. Je ne cuisine pas, c’est le sas de décompression de mon épouse qui lave et relave (même les cuisses de poulet) avant de cuire et recuire. Je trie les photos d’une période où je voyageais à l’extrême bout du monde sans masque et sans peur. J’appelle les amis et ça prend pas mal d’heures à se remémorer le bon vieux temps où on sortait en rando, aux musées, ciné, restos, bistros… on ne trinque plus à l’apéro qu’en virtuel.

Le midi on prend le temps de mâcher et remâcher chaque bouchée, on fait travailler les enzymes c’est bon pour la digestion.

La sieste est bannie du programme, la séance d’abdos des paupières devant l’écran ne m’a pas exténué. La télé avec ses programmes d’archives poussiéreuses ne nous tente pas davantage qu’avant cet ordre du « restez chez vous ! ».

Le Monopoly à deux, c’est pas top et les rues de Paris n’ont plus la cote. On tenterait bien la pétanque mais on a perdu le cochonnet, et vu que c’est pas un achat de première nécessité. Alors je lis des BD, des romans, des récits de voyage qui font rêver… J’écris, enfin j’essaie.

Vient l’heure du dîner, je fais attention de ne pas trop m’empâter, faudrait pas que confiné rime avec adiposité.

Vient l’heure des infos, bilan d’une journée morose, les chiffres alarment, les doutes ressurgissent, les discours s’opposent, bref on n’a pas vraiment avancé sur l’espoir d’un lendemain qui chante.

Et pour chasser l’horreur on passerait bien un p’tit film, histoire de muscler les zygomatiques avant d’aller se coucher, et pourquoi pas « La 7e compagnie sur les chemins plestinais » !

En attendant de se retrouver le lundi de bonne heure et de bonne humeur, prenez soin de vous !

 

Christian Guillemain

Locquirec le 15 avril 2020

Création et entretien de sentiers pédestres